Du français comme langue africaine
Avril 2008, adapté de La Gazette de la presse francophone

Dans les années 1960, la plupart des colonies françaises ont acquis leur indépendance dans un climat d’euphorie et d’espoir pour l’avenir de l’Afrique. Moins de dix ans après, les choses ne s’étaient pas beaucoup améliorées. Le néocolonialisme avait mis la main sur l’économie, et les élites politiques se sont révélées trop cupides pour tenir les promesses qu’elles avaient faites à l’indépendance. Ce fut le temps de la désillusion.

Les péripéties des « Soleils des indépendances », le roman de l’Ivoirien Amadou Kourouma (1927 – 2003), décrivent avec éclat cette déception. Lorsque Kourouma a soumis son manuscrit à des éditeurs en France et en Afrique, il n’a essuyé que des refus, au motif que le texte avait été écrit dans un « mauvais » français. De rebuffade en rebuffade, le roman fut finalement publié au Canada en 1968. Il rencontra un succès immédiat en librairie et une prestigieuse maison d’édition en France (les éditions du Seuil) en racheta finalement les droits en 1970. Des éditions bon marché sont sorties pour le marché africain, des millions d’élèves ont lu le livre sur le continent noir, où il continue aujourd’hui de faire partie des programmes scolaires. Le roman de Kourouma était révolutionnaire en ce sens que, pour la première fois, un écrivain tentait de recréer la façon dont parle vraiment l’homme de la rue en Afrique. L’écrivain a fusionné le français avec sa langue maternelle, le malinké, en jouant avec la syntaxe et la grammaire françaises et en donnant à certains mots une signification entièrement nouvelle. Sa langue n’avait que faire des règles les plus élémentaires. Le style était empreint d’une sensualité brute.

Kourouma a démontré que la langue française nous appartenait et que nous étions libres de l’utiliser pour exprimer notre propre réalité.

Le français est devenu une langue dans laquelle les Africains peuvent exprimer leurs propres aspirations et leur combat pour la liberté. Une langue est au service de celui qui veut l’utiliser, tant qu’elle n’est pas imposée mais reste à conquérir. Pour Daniel Maximin, écrivain et poète originaire de la Guadeloupe, il est important de ne pas confondre langue et citoyenneté, et de comprendre que le français ne se limite pas aux frontières géographiques de l’Hexagone. La langue de Molière sert à exprimer de nombreuses identités, du Congo au Vietnam, en passant par le Canada. Elle est la langue officielle de plus de vingt pays africains. Par conséquent, la question n’est pas de savoir pourquoi nous écrivons en français, mais comment nous l’écrivons.

Véronique Tadjo *

* Lauréate du Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2005, Véronique Tadjo réside à Johannesburg où elle dirige le département de français de l’Université du Witwatersrand.