Lettre d’Amérique – le régime ‘locavore’
22 mai 2008,
Le Monde
Après les carnivores et les omnivores, une nouvelle espèce a fait irruption dans le paysage anthropologique américain: les ‘locavores’. Les membres de cette tribu ont fait voeu de ne manger que des produits locaux. Adieu café, riz, chocolat et huile d’olive: tout ce qui n’a pas été produit, préparé et emballé dans un rayon de 100 miles (160 km) est interdit de sééjour dans les assiettes.
Le new Oxford American Dictionary a fait de ‘locavore’ son mot de l’année 2007. Selon le responsable du dictionnaire, le choix 2007 reflète l’importance croissante du phénomène écologique dans la société américaine. Même le langage devient vert. En 2006 le mot retenu avait été ‘carbon neutral’.
La paternité de locavore est généralement attribuée à un groupe de quatre copines de San Francisco qui trouvait ridicule que la Californie importe des fraises alors qu’elle en produit pour l’exportation. Depuis, le mouvement s’est étendu à tout le pays. Son unité de référence est la ‘nourriture-kilomètre’, la distance parcourue de la ferme du producteur à l’assiette du consommateur. En moyenne: 2000 km. Selon les locavores, un verre de jus d’orange de Floride consommé à Chicago contient l’équivalent de deux verres de pétrole.
Le locavore n’a pas la vie facile. Le régime n’autorise pas le jus d’orange, sauf pour les résidents de Floride ou de Californie. L’hiver c’est vache maigre: la plupart des adeptes retournent à leurs supermarchés (bio, de préférence). Les groupes échangent des recettes. La glace aux haricots est un délice mais il faut faire bouillir soi-même les féculents (le bilan carbone interdit d’utiliser les produits en conserve). Les plus radicaux conseillent de supprimer purement et simplement la viande: si chaque américain devenait végétarien une fois par semaine, cela reviendrait à retirer 8 millions de voitures de la circulation, affirment-ils. Chaque locavore a le droit de choisir une ‘exception’; un petit privilège qui lui remonte le moral les jours de compote de rutabaga (du chocolat par exemple). Il est possible aussi de conserver sel, poivre et épices dans ses menus. C’est ‘l’exception Marco Polo’.
Les icônes du mouvement sont l’écrivain Barbara Kingsolver ou les deux canadiens James MacKinnon ou Alisa Smith, auteurs du livre The 100-mile Diet. Certains trouvent le raisonnement un peu simpliste: il est plus écologiste par exemple pour les New-Yorkais de boire du vin français, qui arrive par bateau, que du vin californien transporté par camion. Quant aux tiers-mondistes, ls déplorent que les locavores trahissent les communautés du Coasta Rica ou du Kenya avec lesquelles les chaînes de produits ‘bio’ ont conclu des marchés.
Adapté de Corine Lesnes
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