Souveraineté disputée sur les fonds marins
12 mai 2009 - Adapté de Le Monde [Gaelle Dupont]

Depuis quelques jours, c'est l'embouteillage à la division des océans et du droit de la mer des Nations Unies. Argentine, Brésil, Côte d'Ivoire, France, Nigeria, Russie, Seychelles, Sri Lanka, Vietnam, ... la liste est longue: les Etats se précipitent pour déposer, avant la date butoir du 13 mai, leur demande d'extension des limites du plateau continental.

En effet, en vertu de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, les Etats côtiers peuvent revendiquer des droits sur les ressources du sol et du sous-sol de la haute mer. Pour cela, il leur faut démontrer qu'il existe un prolongement naturel de leur masse terrestre sous la mer au-delà des 200 milles nautiques (370 kilomètres) de la zone économique exclusive (ZEE), où leurs droits souverains sont automatiquement reconnus. Cette extension ne peut toutefois pas dépasser la limite des 350 milles (648 kilomètres) et ne concerne pas les ressources halieutiques.

Plus de quarante Etats, sur environ 70 qui peuvent revendiquer une extension, ont déposé au moins une demande. Ensuite Le délai d'instruction peut atteindre plusieurs années.

L'enjeu est considérable : une course aux ressources pétrolières, minières et biologiques sous-marines est en train de se jouer.  Déjà, plus d'un tiers du pétrole est extrait offshore, jusqu'à 3,000 mètres de profondeur. Tandis qu'à terre les ressources s'épuisent, le manganèse, le cuivre, le nickel, le cobalt, le zinc, le fer ou le plomb présents sous les mers suscitent de plus en plus d'intérêt.

Conflits aigus

Des critères techniques précis sont requis (profondeur des fonds, épaisseur des sédiments, nature des roches, etc.). Une quinzaine de campagnes de mesures en mer a donc eu lieu. La France, qui, du fait de sa présence outre-mer, dispose d'une ZEE de 10 millions de km2, a déposé une dizaine de demandes. Elle revendique un million de km2 supplémentaire.

L'Australie a réclamé - et obtenu - 2,3 millions de km2. Le Brésil, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine et la Russie ont déposé des demandes, mais les chiffres exacts ne sont pas rendus publics. Les prétentions de la Chine et des Etats-Unis sont attendues avec intérêt ...

Encore faut-il convaincre la commission des limites du plateau continental, aréopage redouté composé de 21 géologues, géophysiciens, hydrographes ou cartographes, qui se réunit deux fois par an à New York pour examiner les demandes. Les discussions entre ses membres, élus pour cinq ans, sont techniques. "La commission s'interdit de faire de la politique", affirme M. Jarmarche. Rien n'est gagné d'avance : la Russie et le Brésil ont été recalés et devront présenter de nouveaux dossiers.

L'affaire se corse encore davantage quand plusieurs pays voisins revendiquent la même portion de plateau. Le conflit est particulièrement aigu dans l'Arctique, où les Etats se disputent l'accès aux ressources rendues accessibles par la régression de la banquise.

Mais d'autres régions sont concernées. La France a ainsi gelé sa demande d'extension au sud des îles Matthew et Hunter, à l'est de la Nouvelle-Calédonie, car le Vanuatu y conteste sa souveraineté. L'Argentine revendique une extension autour des îles Malouines, un territoire britannique. La mer de Chine devrait être le théâtre d'importantes rivalités.

La commission des limites du plateau continental refuse d'examiner les demandes conflictuelles. Les Etats sont donc contraints de se mettre d'accord avant de soumettre une demande commune, ou doivent garantir qu'ils trancheront entre eux ultérieurement, par la négociation ou en recourant à un arbitrage international.

Une demande conjointe a ainsi été présentée par la France, l'Espagne, l'Irlande et la Grande-Bretagne pour le golfe de Gascogne. Elle a été acceptée, mais les quatre Etats ne se sont pas encore mis d'accord sur le partage du gâteau.

Les protecteurs de l'environnement voient d'un mauvais oeil ces grandes manoeuvres sous-marines, et craignent une reproduction en mer des dégâts causés à terre par la course aux ressources. De plus, le fond de la haute mer est considéré, en vertu de la convention de Montego Bay, comme un "bien commun de l'humanité".

Un dispositif de redistribution a par ailleurs été prévu. Toute exploitation des ressources sous-marines au-delà des 200 milles donnera lieu, au bout de cinq ans, au versement d'une contribution progressive, plafonnée à 7 % de la production du site. Cette somme sera reversée aux pays les moins avancés et sans littoral.